Bernard-Henri Lévy est non seulement philosophe, écrivain, cinéaste, mais aussi reporter. Le 1er novembre 2021, il était de passage à Los Angeles pour présenter son dernier film « The Will to see? » , ainsi que son ouvrage : «? Dispatches from a World of Misery and Hope » aux éditions Yale University Press, une adaptation de la version française « Sur la route des hommes sans nom ». Fréquence Juive vous offre cette interview inédite. Entretien privé avec BHL.Bernard-Henri Lévy is not only a philosopher, writer, and filmmaker; he is also a reporter. November 1st 2021, he was in Los Angeles to screen his latest film “The Will to See” and to talk about his book of the same title, published in October by Yale University Press. The book is an adaptation of Sur la route des hommes sans nom (Grasset, May 2021). Fréquence Juive brings you this exclusive interview with BHL.


Fréquence Juive :
« Vous présentez dans « The Will to see », à travers vos voyages-enquêtes, différents conflits dans le monde, où sévissent la détresse, les massacres et l’enfer subis par certaines communautés. L’humanité entière reste sans voix et malheureusement sans réaction. Pensez-vous qu’un jour il soit possible que ces conflits arrivent aux portes de notre monde, soi-disant civilisé, que ce soit en Europe, ou ici, aux Etats-Unis, ou bien qu’ils se trouvent déj? insidieusement installés dans nos murs ? »

Bernard-Henri Levy :
« Ils sont déj? à nos portes. Je suis quelqu’un qui croit à la géopolitique. Il y a une unité du monde et chaque partie interagit sur chaque autre.
Fréquence Juive :
In “The Will to See,” you report firsthand on various conflicts around the world marked by massacres, deprivation, and other forms of severe distress. Most of humanity remains mute and unreactive. Do you think such conflicts might one day reach the gates of the so-called civilized world—in Europe or here in the United States—or that they may already lie dormant within our walls ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? They are already at the gates. I believe in geopolitics. The world is a unit, a whole in which each part affects all the others. The butterfly effect is generalized. Contrary to what the ostriches among us may believe, the slightest skirmish in Mogadishu can affect events in the suburbs of Paris or Washington.

Nous vivons dans un monde de l’effet papillon généralisé. La moindre escarmouche dans les faubourgs de Mogadiscio, contrairement à ce que croient les autruches, a des effets possibles dans les faubourgs de Paris ou de Washington. Cela dit, je n’ai pas tourné une «? somme? » des guerres oubliées mais, plutôt, mon journal de l’année 2020. Année très spéciale où un grand magazine, Paris Match, suivi par cinq autres grands journaux étrangers m’a fait une proposition? : me rendre dans quelques-uns des les lieux les moins faciles de la planète et tenter de renouer avec la noble et belle tradition des écrivains reporters. J’ai relevé le défi. »

Fréquence Juive :
« Vous avez donc traversé, au cours de votre vie, de nombreuses zones de conflit, vu d’innombrables massacres, qu’aimeriez-vous dire à D.ieu, si un jour, vous le croisiez ? »

Bernard-Henri Levy :
« Je ne pense pas qu’on croise D., je crois qu’on l’aperçoit parfois. On l’entrevoit. On le devine. On ne le croise pas. Laissons cela aux néoévangélistes»

Fréquence Juive :
« Comment changer la vision d’un monde peu enclin à reconnaître sa propre monstruosité ? Ne vous sentez-vous pas seul dans ce combat ? »

Bernard-Henri Levy :
« Non. Car, contrairement à ce que je lis partout, les gens restent engagés. Dans toutes les zones de guerre où je suis allé, j’ai rencontré des ONG qui font un travail formidable. La jeunesse française se mobilise aussi, quand il le faut, sur de grandes causes. Je ne vois pas cette démobilisation générale de la société dont on nous parle. Nos dirigeants sont persuadés de cette démobilisation. Mais ce n’est pas la réalité. »

Fréquence Juive :
« Comment enseigner au monde la parole des dix commandements, et en particulier de ne pas tuer et de respecter son prochain ? »

Bernard-Henri Levy :
« Le commandement qui me guide depuis le début de ma vie, est le Tikoun Olam**, la réparation du monde. Evidemment que les dix commandements ne sont pas respectés. Il faut sans cesse rappeler au monde son infidélité aux commandements et lui montrer sa pente constante et naturelle vers l’idolâtrie. Les juifs, à la fin des fins, ne sont-ils pas l? pour ça? ? Ils ont un rôle majeur dans la rédemption du genre humain. Tikoun Olam*, oui.

Fréquence Juive :
« Malgré la cruauté de ce monde où le racisme et l’antisémitisme ne cessent de progresser, comment voyez-vous l’avenir et quel est, selon vous, la solution pour unir, respecter et accepter la diversité des identités et des traditions ? »

Bernard-Henri Levy :
« Je ne crois pas que le problème soit d’accepter, comme vous dîtes, la diversité. Ce qui manque c’est l’unité. C’est ça la menace d’aujourd’hui. Si quelque chose menace le monde, c’est cet éclatement du genre humain. D’ailleurs, regardez bien. La diversité est assez volontiers reconnue. Y compris par les racistes qui n’ont aucun problème, si celle-ci veut bien rester à sa place, pour penser le divers. Non. Ce qui est en péril, c’est l’idée de l’universel. C’est l’idée que tous les hommes, sans exception, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
That said, what I have produced is not a summation of forgotten wars but rather my diary for the year 2020, a very special year in which a major magazine, Paris Match, along with five other leading foreign newspapers (including the Wall Street Journal) laid down a challenge: go to some of the most troubled places on the planet and try to reconnect with the fine and noble tradition of the writer-reporters. I accepted the challenge.? »

Fréquence Juive :
«? In the course of a life in which you have experienced so many conflicts, so much cruelty, what would you like to ask God if you were to meet him one day ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? I don’t think one meets God. I believe that we notice him sometimes, we get glimpses of him. We divine him. We don’t meet him. I’ll leave that to the neo-evangelists.? »

Fréquence Juive :
«? How can we change the vision of a world that seems disinclined to recognize its own monstrousness ? Do you ever feel that you are fighting alone ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? No. Because contrary to what I read all around me, people remain engaged. In all the war zones I went to, I found NGOs doing incredible work. The young people of France, when necessary, mobilize around great causes. I simply do not see the general demobilization of society that we are told has occurred. Our leaders seem convinced that it has. But that is not the reality.? »

Fréquence Juive :
«? How can we teach the world to follow the Ten Commandments—in particular, not to kill and to respect their neighbors ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? The commandment that has guided me since my beginnings is Tikkun Olam*, or repairing the world. Obviously, the Ten Commandments are not followed. We must keep reminding the world of its infidelity to the commandments and reveal its constant, natural slide into idolatry. In the last analysis, is that not why we need Jews? They have a major role to play in the redemption of humanity. Tikkun Olam, yes, indeed.? »

Fréquence Juive :
«? Given the cruelty of this world in which racism and antisemitism keep growing, how do you see the future, and what might be the right solution for us to unite in mutual respect and accept the diversity of identities and traditions ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? I do not believe that the problem lies in accepting diversity, as you put it. What is lacking is unity. That is the threat we face today. If there is one thing that threatens this world, it is the splintering of humanity. Look, diversity is readily accepted. Even by racists, who have no problem accepting others, as long as they stay in their place. So, no. What is imperiled is the idea of the universal. The idea that all people, without exception, have the same rights and obligations.

« Le commandement qui me guide depuis le début de ma vie, est le Tikoun Olam**, la réparation du monde. »«? The commandment that has guided me since my beginnings is Tikkun Olam*, or repairing the world.? »




C’est la croyance en des principes et valeurs qui s’appliquent partout et ne tiennent pas compte des lieux, des temps ou des circonstances. »

Fréquence Juive :
« Monsieur BHL, vous avez voyagé et visité pratiquement la totalité du monde. Question un peu plus personnelle. Dans quel pays vous sentez-vous le plus à l’aise et accepté en regard de votre nom et de votre judéité ? »

Bernard-Henri Levy :
« Je ne me demande jamais si je suis accepté ou pas. Jamais. Maintenant, si vous voyez mon film, vous verrez qu’il y a un pays dans lequel on m’a tiré dessus parce que j’étais juif. Un autre, la France, où il y a un antisémitisme larvé. Néanmoins, c’est mon pays. Et je m’y sens bien. »

Fréquence Juive :
« Comment vous sentez-vous en Israël ? »

Bernard-Henri Levy :
« Merveilleusement bien. Je suis heureux en Israël. »

Fréquence Juive :
« Vous êtes aujourd’hui à Los Angeles, capitale du cinéma. Avez-vous un nouveau projet cinématographique « à la James Bond » dans vos bagages ? »

Bernard-Henri Levy :
« Venez, ce soir, voir mon film. Vous verrez que les cascades, hélas, je n’ai pas besoin de les fabriquer, elles sont dans la vraie vie. Cela dit, j’ai vu le dernier James Bond «? No Times to die? ». Je l’ai trouvé formidable. Un peu mélancolique, mais formidable. »

Fréquence Juive :
« Quel livre, vous ayant marqué durant votre adolescence, conseilleriez-vous aux jeunes lecteurs de Fréquence Juive ? »

Bernard-Henri Levy :
« Non. Il y en a trop. J’ai passé mon enfance et mon adolescence à lire. Je n’aimerais pas l’idée que les jeunes gens qui lisent s’enferment dans le fétichisme d’un seul livre. Qu’ils lisent encore et toujours et qu’ils ne cessent jamais de lire. Lire, lire et encore lire ! C’est, sur ce point, mon seul commandement. »

Fréquence Juive :
« Votre message à la communauté. »

Bernard-Henri Levy :
« Je ne suis ni rabbin ni prophète. Donc pas de message. Juste mes livres. »

Propos recueillis par Fréquence Juive.

* Tikoun Olam : « Rectification du monde », le but étant de ramener le monde à son stade de perfection originel, tel qu'il était avant la première faute.



Copyright : Alexis Duclos /Gilles Hertzog - Bernard-Henri Lévy in Iraqi Kurdistan with General Sirwan Barzani / Marc Roussel - BHL Lesbos Moria Refugee Camp

The Will To See – Une autre idée du monde Un film de Bernard-Henri Levy, co-réalisé par Marc Roussel. Avec la collaboration de Gilles Hertzog et Olivier Jacquin. En 1971, les Bangladais prenaient les armes pour défendre leurs droits face au pouvoir pakistanais. C’était le premier conflit armé que rejoignait, à l’appel d’André Malraux, le tout jeune Bernard-Henri Lévy. Depuis, le philosophe n’a pas cessé de montrer et dénoncer « ce que l’homme fait de pire à l’homme » - et il l’a fait, comme aujourd’hui, avec une constante : aller y voir, se rendre sur place.
It is the belief in principles and values that are applicable everywhere and do not vary with location, time, or circumstances.»

Fréquence Juive :
«? Mr. Lévy, you have seen pretty much the entire world. Here is a question that is a little more personal. In what country do you feel the most comfortable and accepted with respect to your name and Jewishness? ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? I never wonder whether I am accepted or not. Never. Now, if you see my film, you will see that there is a country in which I was fired upon because I was Jewish. And another, France, where one finds a latent antisemitism. Nevertheless, France is my country, and I feel good there.? »

Fréquence Juive :
«? How do you feel in Israel? »?? »

Bernard-Henri Levy :
«? Perfectly fine. I am happy in Israel.? »

Fréquence Juive :
«? Today you are in Los Angeles, the film capital of the world. Do you have a new cinematographic project in your luggage, like James Bond ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? Come see my film. You will see that there was no need to devise stunts, because, alas, they are right there in real life. I saw the latest James Bond «? No Times to die? », by the way, and thought it was tremendous. On the melancholy side, but very good indeed.? »

Fréquence Juive :
“What book from your adolescence would you recommend to young readers of Fréquence Juive ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? I cannot answer that; there were too many. I spent my childhood and teenage years reading. And I don’t like the idea of young readers wrapping themselves up and fetishizing a single book. They should keep reading and never stop. Read, read, and then read some more. On this point, that is my only commandment.? »

Fréquence Juive :
«? Your message to the community ?? »

Bernard-Henri Levy :
«? I am not a rabbi or a prophet. So, no message. My books speak for themselves.? »

Interview by Fréquence Juive.

*The goal of Tikkun Olam, which means “repairing the world,” is to bring the world back to its original state of perfection, as it was before the first misdeed.


“The Will To See” Directed by Bernard-Henri Levy and Marc Roussel, with the collaboration of Gilles Hertzog and Olivier Jacquin In 1971, the Bengalis were taking up arms to defend their rights against their Pakistani oppressors. It was the first armed conflict in which the very young Bernard-Henri Lévy took part, in answer to the call of André Malraux.

Réalisé sur un an, en 2020, c’est un film engagé qui nous amène au plus près de peuples martyrisés, que ce soit au Nigéria, en Ukraine, en Somalie, en Libye, en Afghanistan, au Kurdistan ou encore au Bangladesh et à Lesbos. Sans théorie, sans grands discours géostratégiques ou diplomatiques, Bernard-Henri Lévy donne à voir, et laisse parler, des femmes et hommes debout contre l’injustice, la haine et la peur. Après 50 ans d’engagements et de combats, il pose aussi, et inévitablement, cette question : « ai-je été fidèle au jeune homme que j’ai été ? » . Since then, the philosopher has never ceased to uncover and denounce “the worst that man does to his fellow man,” and he has done it, up to the present, in a consistent way, by observing it firsthand. Filmed over the course of 2020, “The Will to See” is a committed film that takes us up close to beleaguered peoples—in Nigeria, Ukraine, Somalia, Libya, Afghanistan, Kurdistan, the Greek island of Lesbos, and, once again, Bangladesh. Unburdened by theory or grand geostrategic or diplomatic speeches, Bernard-Henri Lévy introduces us to living, breathing, talking men and women standing up against injustice, hate, and fear. After half a century of committed struggle, he asks himself this question: “Have I been faithful to the young man I was ? .

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